lundi, 7 avril 2008

de Cartagena aux San Blas, via isla Rosarios

Salut à tous,

Jeudi 17 janvier 2008, 10h00 du matin, nous levons l’ancre, quittons Cartagena la Belle et une partie de la flotte. Les retrouvailles ne seront que partie remise avec certains navigateurs. Le filet est suspendu en travers du carré, les fruits et légumes embaument l’intérieur du bateau de leurs senteurs multiples. C’est parti.



Le vent est d’ouest… normal, nous allons à l’ouest, nous parcourons au moteur les 18 miles qui séparent Cartagena des Islas del Rosarios; 27 petites îles coralliennes, baignées d’eau turquoise. Le week-end ces îles sont très fréquentées par les locaux et les touristes venant de Cartagena, mais le reste du temps elles sont habitées par les autochtones, leurs habitations se noyant dans la verdure, aucune construction ne dépassant les cocotiers.

Le soleil est de face et nous avons quelques difficultés à trouver la passe d’entrée du Bajo Cangrejero, plusieurs bouées à l’horizon, même à la jumelle, nous distinguons mal les couleurs. Tout à coup les fonds remontent à 1.80m - c’est notre le tirant d’eau - petite montée d’adrénaline, le capitaine à la barre ralentit, pointe l’étrave du bateau plein nord afin d’éviter de toucher. Nouvelle tentative un peu plus loin, rien n’y fait les fonds remontent à nouveau, on ne passera pas. La VHF grésille, le SY Victoria (pavillon danois) qui est mouillé dans le lagon nous interpelle et nous donne la position exacte des bouées de la passe, nous continuons un peu au nord-ouest et là nous tombons sur la bonne passe. Malgré le peu de profondeur New Life trouve son chemin, une fois à l’intérieur plus de soucis, il y a entre 12 à 15 m. de fond. Nous les remercions chaleureusement au passage et allons jeter l’ancre en face de l’Isla Caribaru. Nous n’attendrons pas une seconde de plus pour sauter à l’eau. Eh, je sais toujours nager ! s’écrie Marvin.

Dans la soirée le vent se lève nord-est 20, puis 25 nœuds laissant entrer de la houle dans le mouillage, nous ne dormirons que d’un œil. Au petit matin c’est le calme plat, seuls les chants des coqs et les cris des oiseaux nous réveilleront. Les frégates sont en pleine période amoureuse, les mâles arborent leur jabot rouge pour plaire à ses dames. L’année dernière nous observions déjà leurs ébats à Laguna Grande (au Vénézuéla). Quelques enfants arrivent sur des bouts de planches pour quémander quelques bonbons, puis un pêcheur vient nous proposer du poisson ou des langoustes, notre choix se portera sur ces dernières créatures qui ne tarderont pas à être ébouillantées afin de leur éviter une trop longue agonie en attendant notre souper.



L’école se passe plutôt mal ce matin, ça durera jusqu’au milieu de l’après-midi, privant ainsi Marvin de baignade. Une fois décidé, il ne lui faudra pas plus de 5 minutes pour me lire et écrire deux belles phrases. Finalement il pourra chausser, à son plus grand plaisir, ses palmes, masque et tuba.

Voici le week-end, avant l’arrivée de la foule, nous décidons d’appareiller après le petit-déj, pour les îles San Blas distantes de 180 miles, 3 ou 4 jours de mer pour New Life. Une bonne partie de la journée du samedi le moteur tourne, pas de vent du tout, juste une longue et lente houle. Vers le milieu de l’après-midi, nous faisons une tentative d’arrêter le moteur, d’hisser les voiles. Peine perdue malgré la légère brise qui s’est levée les voiles claquent, la bôme traverse le cockpit, nous affalons et continuons au moteur. Fin d’après-midi, deuxième tentative, il semble que la légère brise décide de se réveiller un peu. Nous touchons du nord-ouest 15 nœuds (alors que du nord-est est annoncé), c’est toujours ça, le génois est lancé, le moteur arrêté. Nos oreilles nous remercient, quelle paix d’entendre uniquement le vent dans les voiles et la mer contre la coque. Pommes-de-terre et carottes Vichy avec un bon morceau de gruyère pour le repas. La houle tiraille un peu nos estomacs et l’appétit n’est pas franchement féroce. Il faut nous « ré-amariner».

Dans la nuit la légère brise se transforme en bon vent, qui monte à 18, 20, puis 25 nœuds, se sont des alizés perturbés de NNO. Le courant est contraire, étonnant, mais nous ne pouvons que le constater vu que le bateau n’avance pas, il se traîne, il plonge dans une mer qui devient forte à très forte. 2 ris sont pris dans la grand-voile, le génois est diminué de moitié, les mouvements sont désagréables. Courant contraire, houle de travers et alizés NNO ne font franchement pas bon ménage.



Nous dormirons à tour de rôle le capitaine et moi, nous relayant pour les quarts, il y a du trafic de cargos entre Panama et Cartagena, vaut donc mieux garder un œil ouvert afin d’éviter de croiser la route d’un de ces monstres d’acier.



La nuit l’océan prend d’autres dimensions, le bateau roule, la mer claque, le vent gonfle les voiles, on sent le bateau vibrer de toute part et donner tout ce qu’il peut donner, c’est la pleine lune, on pourrait presque lire avec cette clarté, il ne manque plus que les dauphins pour nous accompagner, ainsi le tableau serait complet. On se sent s’y petit sur cette immensité, c’est vraiment génial. Bébek Tutu a relayé le pilote électrique, il fait du bon travail maintenant que les moteurs hors bord ne le gênent plus pour sentir le vent sur sa pale, il fait moins d’embardées. Minuit, un dernier café et je passe la main au capitaine qui gardera l’œil pour le restant de la nuit.
Dimanche matin encore 117 miles à parcourir dans une mer qui n’en finit plus de grossir. On doit bien atteindre les 30 nœuds de vent. Maman j’ai faim ! Ah ça c’est le cri de guerre du moussaillon au réveil, c’est parti pour le petit-déj., une chose après l’autre en navigation et rien ne se renverse - enfin presque – il ne faut juste pas sortir au moment où une déferlante achève de nous réveiller avec une douche et de coucher New Life, car à ce moment-là ce qui est à tribord se retrouve à babord. Oh rien de grave… juste un peu de rangement à faire ! Marvin équipé de son gilet attend patiemment son orange pressée et ses toasts beurrés. Le courant est avec nous depuis ce matin et on file à 5 nœuds, super, à cette vitesse la « machine à laver » sera vite terminée.



Lundi 21, contact radio BLU avec nos amis Gigi et Lulu qui nous encouragent en nous disant que la mer est calme derrière la barrière de corail et que les lagons sont d’une beauté incroyable. Depuis le départ la ligne de pêche était à l’eau, nous l’avions complètement oubliée, en la remontant aujourd’hui, nous nous apercevons que le rapala et l’hameçon se sont volatilisés, certainement une grosse prise, c’est ce qu’on aime imaginer, le courage nous manque toutefois pour la remettre en état de fonction. On verra une fois sur place pour le poisson. Marvin quant à lui est enchanté de l’état de la mer… il sèche l’école !

Il est déjà 14h00, 24 miles sont encore à parcourir, le soleil baisse vite sous ces latitudes à 18h30-19h00 il fait déjà sombre, impossible donc de passer la barrière de corail pour entrer dans les lagons à cette heure tardive de la journée, il nous faut avancer plus vite, autrement on ne rentrera pas en eau calme, New Life file actuellement à 4,5-5 nœuds. Très peu pour nous l’idée de se faire chahuter une nouvelle nuit. On largue donc la totalité du génois et on appuie au moteur, Thierry reprend la barre, le bateau s’ébranle de partout, plonge, surfe, dance d’un bord sur l’autre, sa vitesse augmente à 6,3 nœuds. 18h00, on rentre par le chenal des San Blas, ça déferle de toute part, Cayo Chichimé est à deux pas et on choisi de ne pas aller à Porvenir comme initialement prévu pour effectuer les formalités, vu l’heure tardive. Nous jetterons l’ancre entre Uchutupu Pippi et Uchutupu Dumat et aurons notre premier contact avec les indiens Kunas qui attendent qu’on soit mouillé pour venir nous vendre des molas. Avec un grand sourire je leur dis Panemalo (à demain). Voyant nos têtes, ils n’insistent pas. Gigi et Lulu, qui sont à Cayo Lemon, quelques miles plus loin, nous souhaitent une bonne nuit au calme. Un plat de pâtes et au lit, sans se faire prier !



Situons un peu le territoire Kuna Yala ; il comprend une bande de terre de 320'000 ha le long de la côte Atlantique du Panama allant de Puerto Obaldia, à la frontière de la Colombie, jusqu’à la Punta de San Blas plus à l’ouest, l’archipel des San Blas comprend plus de 370 îles plus belles les unes que les autres entourées pour la plupart d’une barrière de corail. Cette province dépend de l’Etat de Panama et possède une grande autonomie qui lui a permis jusqu’alors de conserver ses coutumes et ses traditions. Le swastika qu’on retrouve dans beaucoup de molas traditionnelles est aujourd’hui remplacé par un nouveau symbole dans le pavillon Kuna.



Un peu d’histoire avant d’aller plus loin dans mon récit.

« Il y a 10'000 ans…

A la recherche de gibier, fuyant déjà quelque ennemi ou pour suivre la course du soleil, leurs ancêtres venus d’Asie traversaient le Détroit de Béring et s’installaient sur ce qui devait s’appeler bien plus tard le continent américain, les Kunas l’ont toujours nommé Abia Yala, le territoire des indigènes.

On a retrouvé des traces d’agriculture datant de 6000 ans en Sierra Nevada (Colombie) là où la tradition orale des Kunas situe leur origine; et trouvé aussi des poteries, des statuettes de pierre et des bijoux en or datant de 500 ans av. JC dans le Darien, le précédent territoire des indiens Kuna et Chocos.

Dix siècles plus tard, les ennuis se profilent à l’horizon : en 1492 les caravelles de Christophe Colomb, le « hors-la-loi » comme certains l’appellent ici, quittent l’Espagne, et en 1501 Rodrigo de Bastidas découvre le Panama.

Avec Vasco Nunez de Balboa, le premier gouverneur en place, ça se passe plutôt bien, il fraternise avec les Kunas, et grâce à leur aide découvre l’Océan Pacifique. Mais la Cour d’Espagne le soupçonne de trahison et lui nomme un supérieur, Pedro Arias Davila, qui déplace le QG espagnol de la côte Atlantique du Darien vers la côte du Pacifique où il fonde la ville de Panama. Pour s’en faire un allié, il marie sa fille à Balboa, mais le trouvant encore trop gênant, le décapite, et massacre la presque totalité des indigènes de la région pour assouvir sa passion de l’or.

Les Kunas, qui vivent près des grandes rivières dans la forêt équatoriale résistent farouchement aux exactions dont ils sont victimes. Les espagnols après de multiple mais vaines tentatives sauvages d’asservissement finiront par renoncer à leurs envies en 1787.
Le Panama qui s’est joint à la Colombie pour obtenir ensemble en 1821 leur indépendance de l’Espagne, s’en sépare en 1903, ce qui déclenche des troubles entre les Kunas fidèles à la Colombie et les autres.

Entre temps, vers le milieu du 19ème siècle, les Kunas qui se sont installés peu à peu sur le littoral, près des embouchures des rivières commencent à coloniser les îles les plus proches.

En 1915, le Président Porras qui veut en finir avec la résistance des Kunas, installe un gouverneur sur l’Ile de Porvenir (en espagnol : L’Avenir), les conflits continuent, les policiers se conduisent plutôt mal : répressions des coutumes traditionnelles, viols, assassinats…

Néanmoins, les expéditions américaines et canadiennes invitent dans leurs pays des délégations Kunas afin qu’ils s’y fassent connaître et apprécier. Le 22 février 1925 les Kunas conduits par Nele Kantule se rebellent et proclament la République de Tule. Ils exécutent les policiers et les enfants métis.

Le Panama prépare l’envoi de troupes mais demande en même temps la médiation des USA. Le USS Cleveland, qui croisait dans les parages, arrive à El Porvenir le 27 février, obligeant les deux parties à négocier.

Après avoir accordé une autonomie en 1930, puis mis en place en 1938 une réserve kuna : la Comarca de San Blas (aujourd’hui appelée Comarca de Kuna Yala), le parlement de la République de Panama vote et accorde en 1953 un statut juridique et administratif codifié par une Constitution (la Carta Organica).

Le Congreso General de Kuna Yala, composé de trois Sahilas, chapeaute les trois districts de la Comarca et se réunit deux fois pas ans, toujours dans un village différent.

Depuis 1972 les Kunas ont des élus à l’Assemblée Générale du Panama et un représentant de Panama assiste aux réunions du Congreso General sans toutefois intervenir dans les décisions des Sahilas concernant leur peuple.

Evidemment ce petit historique est très résumé, mais ce qui est important pour les Kunas c’est qu’ils aient réussi à résister à cinq siècles d’invasions diverses (Espagnols, Français, Anglais et autres) et au prosélytisme de toutes sortes de religions et de sectes.

Ils sont ainsi devenu les seuls amérindiens ayant conquis une véritable autonomie de leur territoire et les moyens de préserver leurs traditions et leur culture. »

(Extrait de molas et traditions Kunas, de Michel Lecumberry)


* * * *

Le lendemain, à peine les paupières décollées, nous entendons les Kunas à bord de leur pirogue tourner autour du bateau. Nuedi (bonjour). Ils viennent nous proposer les molas. Je craque pour ma première en voyant l’équipage de New Life au complet sur la mola, sachant déjà que d’autres suivront. Les molas sont fabriquées en appliquant plusieurs tissus l’un sur l’autre, découpés et cousus à tout petits points (l’appliqué inversé), les dessins géométriques de l’époque laissent gentiment place à la mola touristique aux couleurs chatoyantes, représentant animaux marins ou terrestres ou scènes journalières.



Nous n’avons aucune envie d’aller à Porvenir pour l’établissement les formalités d’entrée, nous nous reposons et profitons du mouillage. Nous retrouvons une vielle connaissance Rémi rencontré à Las Palmas en 2005, à bord du Gitan… Sacré Rémi !



Le lendemain par contre il nous faut aller faire nos formalités d’entrée, sous peine d’amende en cas de contrôle, il y en a paraît-il ! Rémi qui doit faire ses formalités de sortie nous accompagne avec deux de ses équipiers. Nous arrivons à midi, c’est la pause, il faut revenir plus tard. Qu’à cela ne tienne, une bonne bière fraîche et un lunch à l’hôtel Porvenir (à côté de l’aéroport) nous fera patienter.



Nous y retrouvons d’autres amis navigateurs François et Francine du Capitaine Punch et Bisserka d’Holiday, qui depuis notre dernière rencontre, a accouché un petit garçon.



Les formalités établies, nous nous sentons plus léger : 69 US$ pour l’entrée du bateau et le cruising permit (valable 3 mois) + 10 US$ par passeport + 14 US$, en ce qui nous concerne pour le Comarca des Kunas Yala. Ce tarif est variable, certains paient US$ 12, certains ne paient rien du tout…. Allez comprendre le pourquoi et le comment de cette dernière taxe ? Bref, c’est pour les Kunas, nous payons, recevons un reçu officiel et retournons dans l’après-midi au Cayo de Chichimé, n’ayant pas encore eu le temps de bien nous imprégner de l’endroit, de l’explorer et de faire connaissance avec les islois.



Au mouillage, nous rencontrons Pierre, un Suisse qui a décidé de bourlinguer à vélo. Parti du Mexique, il pédale, il pédale pour laisser le temps à son esprit de se joindre à sa condition physique afin de découvrir à l’unisson de nouvelles contrées. Une autre manière de voyager. Il reliera Colomb à Cartagena en bateau avant de continuer son périple en deux roues. Un jour sans, il me relèvera comme prof d’école avec Marvin qui, à mon plus grand étonnement, lit tout ce que Pierre lui demande et pratiquement sans difficulté aucune.



Sur les îles de Uchutupu Pippi et de Uchutupu Dumat vivent plusieurs familles, les femmes cuisinent, entretiennent les huttes, vont au puits pour laver le linge et ramener de l’eau douce, s’occupent des enfants et passent des heures à confectionner des molas et des winis, de longs bracelets de perles qui enserrent si joliment leurs bras et leurs jambes afin qu’ils restent le plus fin possible. Coquettes, elles tracent un trait noir le long de l’arrête du nez depuis la base du front et ornent leur narine qu’un gros anneau d’or. Les femmes couvertes de bijoux préservent leur identité culturelle en s’habillant traditionnellement d’une blouse aux manches courtes et bouffantes, ornée devant et derrière de magnifiques molas, par contre les hommes se contentent d’un T-shirt et short.



Quant aux enfants ils jouent avec si peu de choses, que lorsqu’un petit uaka (étranger) débarque les mains pleines de jouets et les leur donne, ils s’empressent de partager de bons moments ensemble, se préoccupant guère de la barrière de la langue, les après-midi se déroulant en parties de cache-cache, de foot ou de baignade. En guise de remerciements, les petits Kunas de Chichimé donneront à Marvin un magnifique coquillage.



Pour les hommes la journée commence au lever du jour lorsqu’ils partent sur le récif à bord de leur pirogue pour pêcher, ils s’occupent en nettoyant la cocoteraie, les cocos récoltées seront vendues plus tard sur continent, il s’agit de leur gagne pain. Ici on ne ramasse pas de cocos, on les achète, sinon cela équivaudrait à se servir dans leur porte-monnaie. Au Cayo Chichimé, tous les trois mois la communauté change, se sont d’autres familles qui prennent la relève. Ces jours les hommes sont allongés dans leur hamac à longueur de journée. Un cadeau venu des Dieux comme ils disent, vient d’être découvert : un ballot de cocaïne à la dérive !


De l’eau filtrée à travers le sol laissera apparaître sur pratiquement toutes les îles des puits où il sera aisé de faire un peu de lessive, à la façon des Kunas bien sûr. Nous passerons une bonne semaine entre Uchutupu Pippi et Uchutupu Dumat au Cayo de Chichimé.





Fin 1ère partie

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